The Duckworth Lewis Method

Publié le par Vinczc

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                Chais pas si ça vous arrive aussi, lorsque je ne m'intéresse pas durant un certain temps à un artiste, j'ai l'impression - que je sais fausse - qu'il ne fait rien. Cela vous a fait pareil avec Neil Hannon ? On ne sait jamais, je peux être votre unique source d'informations sur ce musicien, il faut alors que je vous rassure : Neil est prolifique ! Bien que quatre ans vont séparer son dernier essai timbré The Divine Comedy alias Victory For The Comic Muse, et Bang Goes The Knighthood qu’on a eu l’insigne honneur de découvrir le 31 mai, précédé le 23 du premier cinglant single « At The Indie Disco ». Je mets un point à cette phrase en « Bien que » afin d’aérer la lecture. Je fais attention à ça, ça m’a marqué qu’on me surnomme Vincent Proust.

                Habitué des collaborations avec un nombre incroyables de gens que je ne nommerai pas, et penchant autant vers l’inconnu que vers le connu, Neil a tout de même pointé du doigt ses meilleurs potes : Duke Special et Pugwash. Un solo et un groupe, irlandais comme il se doit, et même que je vous ouvre grand la porte vers une écoute de ceux-ci. Conseil d’un homme qui lui-même ne saurait citer que quatre-cinq chansons mais que ces dernières ont enchanté. Pugwash est un trio de pop-rock à dominante alternatif et power pop, spécialiste de chansons bien carrées et bien entraînantes. Son leader prend la forme d’un gentil nounours barbu, Mr. Thomas Walsh, qui a accepté de vêtir le costume de Duckworth. Et Neil Hannon celui de Lewis. Qui diable sont ces gens ? Les inventeurs d’une méthode de calcul portant leur nom destinée à fixer un score à atteindre dans certains cas, notamment en cas de pluie, lors d’un match de cricket. Donc oui voilà, vous avez devant vous le premier concept album qui parle entièrement de cricket, et ça dites-vous bien que le tout Tours vous l’envie (l’expression « tout Paris » étant furieusement démodée en ces temps où tout va vite, et où les attitudes branchées voyagent tellement qu’elles accomplissent un tour complet et finissent par se retrouver dans la ville où l’expression « prendre son temps » est un, non, trois mots peu vains…. quoi, qui a dit vin ?).

 

                The Duckworth Lewis Method n’est donc pas le nouveau The Divine Comedy mais un projet paru en 2009, un véritable skeud avec singles, promo et récompenses qui s’ensuivent, mariant le savoir-faire et la musique de Neil Hannon et de Thomas Walsh. Et car la pédagogie est mon crédo : ce n’est pas du TDC mais ça s’en rapproche. Allez hop commentaire des titres.

 

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Rien de tel pour introduire un album concept qu’une courte séquence qui met dans le bain. Pas une « véritable » chanson, mais une petite minute fort bien amenée et qui dit à peu près tout : les notes mystérieuses du début ont quelque chose de riant et laissent bien vite la place à nos Duckworth et Lewis qui nous souhaitent la bienvenue. L’ambiance est à la fois raffinée et rigolote, et d’un paradoxe complètement maîtrisé. Sans crier gare, The Coin Toss s’achève. En même temps, si on en juge par le titre, jouer à pile ou face pour débuter le match n’est pas bien long…

 

                Suite étonnante que ce The Age Of Revolution, premier titre que j’ai découvert l’année dernière, mélange de pop-rock sautillante et funky (on pourrait limite faire vrombir la basse) et de vieux jazz. Le « vieux » vient de ce décalage bien senti entre les cuivres retro et la modernité intacte de l’ensemble. Thomas nous montre dans le couplet ce qu’il est : un chanteur merveilleux avec une voix dédiée à la noblesse de la pop. Fait pour ça, le mec. Neil l’accompagne pour un refrain qui reste dans le crâne. Bien sûr, on s’attend vu la configuration du duo à ce qu’ils s’amusent à faire les crooners, et le pont est parfait pour s’entraîner.

 

                Dès les premières notes de Gentlemen & Players, on a compris une chose : il n’y a pas un style dans cet album mais des styles. Un tour d’horizon d’essais pop, ce n’est pas la Samaritaine ni une volonté de draguer les fonds du genre ; cependant les deux gusses ont décidé de se faire plaisir et de jouer aux touche-à-tout. Et comme ce sont des pro, ils n’ont pas omis la cohérence. Revenons au morceau, abusé tellement il emprunte la grâce des grandes chansons pop. Cet air de ne pas y toucher mais sans oublier de remporter la mise à la fin. Intensément mélodique, il insiste sur les mêmes airs jusqu’à plus soif, et l’auditeur oublie le temps qui passe, les trois minutes semblent ne pas s’écouler. Le clavecin et les cuivres cachettent cette chanson baroque pop follement réussie.

 

                Encore autre chose. The Sweet Spot n’est pas aussi accomplie que ses consœurs, mais peut-être est-ce parce que nos chanteurs s’en sortent mieux dans leur domaine respectif que dans ce rock bien « oh yeah » comme le laisse échapper Thomas. Sinon, c’est vraiment sympa. Les guitares fusent, les paroles parlent toujours du cricket mais restent claires. Pas vraiment le point faible du disque, mais il mériterait d’être joué vraiment rock’n’roll et un peu loufdingue pour qu’on en saisisse tout le potentiel entraînant.

 

                Tenez, je vous mentionnais les paroles qui s’en tenaient à l’essentiel alors qu’on pouvait avoir peur qu’elles partent dans des considérations techniques incompréhensibles pour un étranger à ce sport. Effectivement, les références sont nombreuses mais on a largement le temps de pouvoir les digérer, les apprécier après coup. Même dans ce Jiggery Pokery, pourtant le plus intéressant pour un cricketophile. Neil réemprunte sa voix de dandy et repart dans un petit délire au piano qui nécessite d’être anglophone pour l’apprécier. Une fois dedans on se régale de cette interprétation d’un célèbre coup du grand joueur Shane Warne, Neil se mettant à la place du perdant et rageant. Refrain léger et aux mots calibrés, toute l’intelligence d’un morceau TDC-ien est présente.

 

                Toujours pas de mauvaise chanson ? Surtout pas une merveille comme Mason On The Boundary, peut-être la meilleure de l’album. Déjà, elle nous introduit à une nouveauté : un morceau taillé pour Neil… mais chanté par Thomas. Et là on se dit : mais qu’est-ce qu’il chante bien ce garçon ! Sa voix est émouvante, arracherait des larmes à Philippe Lucas. Une mélodie étrangement délicate, où parfois on a envie de voler, parfois on a envie de se poser dans un banc. Le pont est un splendide monologue parlé de Matt Berry, que les fans de la série The IT Crowd connaissent (à noter aussi sa performance dans le clip « Run-Away » des Super Furry Animals – j’en profite pour faire passer un message subliminal : écoutez les SFA - écoutez les SFA - écoutez les SFA - écoutez les SFA - écoutez les SFA - écoutez les SFA). Neil reprend la main, c’est presque dommage mais il se défend bien et ça fait du bien au morceau, et les deux repartent en chœur. Très belle fin.

 

                A l’instar des pauses dans les compétitions sportives, un petit intermède au joli nom s’incruste : Rain Stops Play. Un instrumental malin comme tout qui représente sans défaut la pluie tombante. Le burlesque est aussitôt masqué par le sourire s’affichant devant une atmosphère autant positive, qui laisse entrevoir une suite d’album en conséquence.

 

                Nouvelle inversion des rôles… ou plutôt, l’esprit simple aurait donné Meeting Mr. Miandad à Thomas mais c’est Neil qui s’y colle, et les dernières compos de TDC ont prouvé que le titre reste assez divinecomedien. Pour tout dire, il est évident que sur quelques points, la méthode Duckworth Lewis est un préalable à Bang Goes The Knighthood. Neil a un peu fouillé dans son livre de recettes de Victory For The Comic Muse, l’a réutilisé ici, et a renouvelé l’expérience pour son dernier essai, avec tout de même des variations mais-ça-ce-sera-l’objet-d’un-prochain-article. Retenons juste que je pense que même si on a affaire à trois disques différents, il existe des liens forts entre tous. On pourrait presque établir un schéma, avec Powerpoint ou Impress. Déjà, ici il y a un banjo plutôt joyeux, comme sur « Mother Dear ». Les refrains sont assez ressemblants mais cette ode à un grand joueur de cricket pakistanais se révèle plus maîtrisée, et plus directe. Les paroles, ridiculement faciles, en sont jouissives, une des caractéristiques du duo qui arrive à nous embarquer dans leur candeur. Les deux chanteurs lorsqu’ils sont ensemble se marient tellement bien quand on a envie de leur enfiler à l’un une robe à l’autre un costume. Ce Monsieur Miandad-là a la spontanéité des singles-nés.

 

                Le groove de The Nightwatchman est ce qui nous rappelle que The Divine Comedy sait mixer la pop baroque avec d’autres éléments, de ce fait l’instrumental à la fin n’apparaît plus vraiment comme une surprise mais pour un « hé, bien vu » aux oreilles du fan. Le reste n’est que cordes, piano, basse et tout ce qui fait… Divine Comedy. La chanson, romantique en diable, au refrain somptueux, est ce qui manquait à Victory pour le renforcer de quelques piliers. Au lieu de ça, il vous suffira d’acheter ce disque pour profiter d’un des travaux les plus éminemment TDCesques de ces dernières années. Je vous jure, on se croirait presque revenu dans la période A Short Album About Love. Il ne reste plus qu’à Neil de le rajouter à son répertoire live, s’il le souhaite.

 

                Flatten The Hay est le genre de gâterie que j’affectionne. Clavecin, sonorités romantiques et un peu mélancoliques, pleine de petits soubresauts fort bien composés, le tout porté par un Thomas plus convaincant que jamais qui nous emporte dans une atmosphère britannique, et un peu équivalente au début de Liberation, « Festive Road » et « Death Of A Supernaturalist ».

 

                L’album s’achève peu à peu, se finissant par un autre titre rock, pas spécialement les plus réussis il faut bien le dire mais… on s’en accommode avec aise. A vrai dire, la transition avec les chansons baroque pop plus traditionnelles est un peu violente, ce qui rabaisse ce Test Match Special, donne à ses synthés pourtant vraiment pas dégueus un côté kitsch, aux excentricités de nos comparses une vague maladresse. Néanmoins, la compo reste entraînante comme pas deux, et on se surprend à la chantonner, mais beaucoup plus fort car Duckworth et Lewis sont encore trop timides. Zappable mais agréable ! Paradoxal, non ?

 

                Fin. Les paroles hypnotiques de The End Of The Over nous téléportent tout droit à la troisième mi-temps et au réconfort de… d’un bon verre, c’est à quoi ça me fait penser. Et tout le monde finissant sur la douce mélodie ayant introduit cette méthode (logique).

 

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Du haut de ses quarante minutes, le CD peut sembler un chouïa court, surtout que le nombre de « vraies » chansons n’est que de neuf, les trois autres étant plus des liants (j’inclus la dernière qui, malgré sa propre mélodie, sert avant tout de conclusion à mes yeux). Nous sommes d’autant plus déçus que oui, oui, et re-oui, ce disque est vraiment franchement vachement good. Au début, on fait « un disque sur le cricket, c’est quoi ce cirque », « Neil risque de se planter », enfin perso je ne l’ai pas dit mais j’accorde le bénéfice du doute, surtout que l’année dernière, on attendait tous la bave aux lèvres le prochain Divine Comedy et à la place on a… ça.

Quoi, ça ? Hé bien, un grand disque de pop raffinée, humoristique. Neil s’en est allé chercher un ami qui partage son goût pour les projets truculents mais léchés. De cœur, on préfère toujours le Neil solitaire lorsqu’il prépare sa marmite TDC – de son aveu-même un exercice dont il ne peut se passer – au Neil des collaborations qui va produire, composer, et accompagner à tour de bras des artistes qui sont tous fans de lui. Un numéro d’équilibriste : pour une chanson réussie, combien d’expérimentations francophiles plus amusantes que convaincantes ? Pas question dans cet article de calculer un ratio, je souligne que l’amateur avide de nouveautés fait parfois la grimace quand Neil ne va pas dans la direction qu’il souhaiterait. Dans notre exemple, après coup, tous les ingrédients de la réussite étaient présents : un musicien irlandais avec une vraie voix qui ne donne pas l’impression durant l’écoute de ce disque d’être le side-kick de notre héros. De plus, Pugwash, le groupe de Thomas, a été plébiscité par Andy Partridge de XTC et ça, croyez-moi, c’est dans le monde la pop l’équivalent d’un passeport vers l’Afghanistan ou d’une carte d’accès Niveau 4 dans un EPR.

A l’heure où je vous écris, j’ai dû me détacher de Bang Goes The Knighthood pour effectuer un bond d’un an dans le passé, et honnêtement ce ne fut pas si difficile. The Duckworth Lewis Method m’a enseigné une chose : Neil Hannon n’est plus indissociable de The Divine Comedy, pas quand un de ses projets annexes est de ces disques qu’on écoutera encore dans vingt ans.


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T
<br /> <br /> Une review qui honore tout à fait les qualités de l'album. Tu m'as donné envie de le réécouter! J'attends ton bulletin sur BGTK!<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Neil a su puiser dans les ressources de sa barbe, aussi temporaire fut-elle ! Merci for the com' !<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> <br /> Et ou est ton "be open mind" : ) It has to come baaaaaack : )<br /> <br /> <br /> Bon, je lirais cet article aussi prolifique que le sujet qu'il aborde ailleurs qu'au bureau, c'est mieux !<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Oui, en musique c'est mieux !<br /> <br /> <br /> Et le "openminded" je dois d'abord faire un travail sur moi-même. Un truc sous l'eau glacée d'une cascade, dans ce goût-là ! ^^<br /> <br /> <br /> <br />