Chronique de Harmonium - Si on avait besoin d'une cinquième saison

Publié le par Vinczc

Chronique de Harmonium - Si on avait besoin d'une cinquième saison

Dommage que nous Français ayons attendu l’émergence de la nouvelle scène rock québécoise pour leur pardonner l’afflux de chanteurs et chanteuses de comédies musicales, voire reconnaître à la Belle Province sa contribution éternelle à la musique, alors que cette question a été définitivement résolue il y a quarante ans.

 

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Groupe très célèbre dans son pays, Harmonium n’est pourtant pas si difficile à trouver ici, peut-être les anciens pourront-ils nous confirmer s’il a réussi à percer dans l’Hexagone ?

 

Groupe éclair aussi, trois petits albums et puis s’en vont. Trois disques forts différents, ayant traversé une partie des années 70, décennie là-bas comme chez nous ayant laissé un goût de renouveau, de recherche, d’alternatives. Harmonium y a donc connu le succès avec une musique bien de son temps, fraîche, rebelle, chantée en français et avec quelques forts accents indépendantistes.

 

Et là où j’aurais pu avoir peur de vous assommer avec un énième album de rock progressif, je nuance tout de suite mon propos : c’est du progressif certes, mais largement coupé à la folk et, plus étonnant, à la « chanson ». Il s’agit d’un ensemble où les musiciens en pleine expérimentation et liberté accompagnent le plus naturellement du monde un chanteur (et parfois une chanteuse), un véritable parolier tel qu’on les connaît dans la francophonie. On se retrouve avec une formation que je peux sans regret présenter à un auditeur peu habitué des formats plus expérimentaux, mais qui se retrouverait peut-être agréablement surpris par la tournure inhabituelle que prend une chanson. Bien sûr, la catégorie n’est pas vierge, on peut citer nombre de chanteurs ayant élargi leurs horizons hier et aujourd’hui (Manset, Ferrer etc. etc. etc.).

 

 

Harmonium fait déjà forte impression avec son premier disque éponyme (et sa bien jolie couverture, une gravure du XVIIe), dont je ne parlerai pas ici, car d'une je le connais encore assez mal, et de deux, on reste encore dans un format très « chanson ». Pas que ce soit éliminatoire, d'ailleurs le disque est de qualité, mais un tel groupe a montré par la suite qu'il était capable de musique bien plus ambitieuse. Il faudrait à ce propos que j'écoute Fiori en solo, pour voir s'il a conservé ce petit côté magique qu'il avait chez Harmonium, et qui a parfois disparu dans des compositions bien plus... conventionnelles.

 

 

 

Chronique de Harmonium - Si on avait besoin d'une cinquième saison

 

Le second opus, Si on avait besoin d'une cinquième saison (ou La cinquième saison) présente de manière conceptuelle la vie à Montréal à travers les différentes saisons, son calme, son renouveau..., plus une cinquième sous forme de long instrumental. Trêve d'explication en détail du fond, que je ne saurai écrire mieux qu'un Québecois, je vous invite dès à présent, si vous le pouvez ou souhaitez, à mettre le disque, à vous allonger ou asseoir, et à ne faire rien d'autre. La plongée n'en sera que meilleure.

 

Les premières notes de Vert (le printemps) ne font aucun doute sur la teneur de l'exercice : aucune violence ne transparaît dans ces airs agréables, ces flûtes volantes, cette guitare apaisée. Puis surgit la voix de la tête de proue du groupe, Serge Fiori, une des meilleures voix jamais entendues. Ce qui fait qu'il est sûrement très difficile de reprendre du Harmonium : la qualité vient autant de l'interprétation que de la composition. Et, cerise sur le gâteau, la production n'a pas pris une seule ride, c'est épatant de pouvoir profiter des années soixante-dix aussi naturellement, sans clavier parfois mal ajusté, ou effet démodé.

Les chœurs se répondent en intelligence, l'auditeur est immédiatement happé. La fin du morceau est une succession de petits élancements lancinants, tellement relaxants que la sérénité se fait peu à peu dans la pièce. Peu importe que, par son caractère léger, « Vert » est peut-être la chanson la moins inoubliable du lot ; elle introduit parfaitement la personnalité, ainsi que la qualité générale de l'album. A partir de maintenant, elle ne va quasiment aller qu'en s'améliorant.

 

Dixie est la chanson estivale par excellence. Difficile de trouver plus ensoleillée, plus relâchée... Et toujours cette voix calme sans être nonchalante, tandis que les divers instruments jazzy, chacun leur tour, traduisent la beauté du jour, sans jamais traduire d'anxiété. Ce dixieland revisité, court mais intense, est à ressortir pour chaque virée à la campagne, pour chaque fois que vous vous allongerez sous un arbre avec des copains à regarder le ciel bleu. A irradier le visage de mille sourires.

 

C'est dès Depuis l'automne que le disque prend un tournant, et qu'il nous prouve sa faculté à jouer avec les émotions de l'auditeur. Le climat se fait plus sombre, mais sans jamais devenir pesant (Harmonium est tout sauf anxiogène). On se retrouve seul à seul face à la beauté des couplets, une introspection véritable. La chanson prend son temps, les claviers soutiennent l'effort, en crescendo. Au pont, l'esprit est déjà ailleurs... Navigue et rêve. Puis redescend jusqu'à cette reprise des voix absolument magnifique, insensée (à écouter fort). Puis finit pour nous montrer qu'il fallait bien dix minutes pour exprimer tout ce que cette chanson, très québécoise dans l'esprit, avait à dire.

 

On est déjà dans une autre dimension, quand l'hiver enfonce le clou, dans la même veine, avec En pleine face. Encore plus introspectif, plus personnel. Ce mélange entre grisaille et survivance des sentiments. Harmonium joue tout du long d'un parallèle entre son environnement et son ressenti. Un accordéon nous laisse sur une mélancolie sans fin.

C'est là qu'on se rend compte de toute la puissance d'une telle musique : rarement je n'ai été aussi ému qu'avec quelques notes d'Harmonium.

 

Je pourrais décrire encore longtemps avec des métaphores et des images mais cela devient difficile, je ne suis pas doué pour ça. Les Histoires sans paroles illustreront à merveille ce que je vais vous dire. Je vais laisser ce morceau (le plus progressif et long de tous) parler à ma place. Une fois fini, vous me direz ce que vous en pensez...

Pour moi, il ne fait que confirmer tout le bien que je pense d'une telle musique : aucune vulgarité, aucun artifice, des arrangement extrêmement soignés, une alchimie de tous les instants. Même sans les voix magnifiques qui nous avaient accompagné jusqu'alors, des mélodies hypnotisantes continuent à nous envelopper. Si, une fois, le chant se manifestera, et c'est tout simplement magique.

 

 

Alors, pourquoi je voulais chroniquer cet objet poétique non identifié, sorti tout droit du fond des âges ?

 

Pas uniquement car il figure, si on y fait bien attention, dans différentes listes des meilleurs albums de tous les temps, et aussi car il est actuellement 24e dans le top albums de ProgArchives.com (vu le reste de la liste, croyez-moi, c'est une place bien velue).

 

Surtout, cette capacité à retranscrire l'émotion humaine. Surtout, surtout, à tout simplement faire quelque chose de beau. Et surtout, avant tout, et c'est l'essentiel, et c'est ce qui rend cet album unique, à faire se sentir l'auditeur... vivant.

 

Croyez-moi, dans des périodes difficiles, c'est de ces œuvres qui nous sauvent, qui nous font voir au-delà de la médiocrité de notre situation, qui nous font promettre un avenir meilleur, à l'être humain qui se donne les moyens de vivre quelque chose de beau et de concret.

 

 

Harmonium a ensuite composé une ultime œuvre, L'Heptade, encore plus ambitieuse, et délaissant le côté folk pour un ensemble symphonique. Dans l'idée, le résultat reste le même, et même si je le trouve un poil plus inégal que son chef-d’œuvre de prédécesseur (ce qui se discute, pour certains c'est l'Heptade c'est le chef-d’œuvre), il mérite mille fois votre attention. Rien que pour, par exemple, Le Corridor ou Comme un sage, des joyaux définitifs, des chansons qui vous transperceront l'âme.

 

 

 

Au début, j'avais du mal à rentrer dans Si on avait besoin d'une cinquième saison, car trop simple à mes goûts d'amateur de rock progressif déjà bien affûté aux compositions abruptes et sans cesse renouvelées d'un Yes ou d'un Genesis. C'est là qu'Harmonium m'a réappris une des qualités de la musique : l'excellence d'un ensemble, l'harmonie totale entre l'interprétation et les propos de l'auteur, la plongée dans un univers musical hors norme.

Alors oui, Harmonium, décortiqué peut se voir affublé de défauts, mais le tout est d'une cohérence et d'une perfection rarement entendues.

Si ce disque fait aujourd'hui partie de mes préférés, ce n'est pas pour tel ou tel point ou détail, de toute façon difficilement exprimables ici, c'est car il s'agit d'une sorte d’éther musical absolu, un style où la beauté de la chanson et la complexité de l'instrumentation se sont complètement dissous dans une sorte de nouvelle dimension artistique, de destination un peu surnaturelle, où l'auditeur, une fois acquis, se sent comme à chaque fois revenu d'un beau voyage. Tout le monde n'y sera peut-être pas sensible. Pour les autres, nul doute que Harmonium fera encore figure dans plusieurs dizaines d'années, d'une étoile filante, d'une espérance.

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