Shadow of the Colossus - test

Publié le par Vinczc

Bonjour à toutes et à tous ! Que tu sois l'ami qui me visite occasionnellement et que je connais, ou l'illustre inconnu du Qatar qui en voulant taper le nom bizarre d'un nouveau soda atterrit sur cette page faible en bulles, qui que tu fus, étais, sois, ou sera, je n'ai qu'un mot à dire : j'espère que tu vas bien (gros bisous) ! Laissons-là le temps de l'Internet, rendu encore plus excessif et démesurément hâtif par Twitter, Facebook, le réseau social à tout prix : il va de soi que mon blog est depuis longtemps sorti de ces normes. Il est hélas aussi sorti des normes humaines communément admises, et pourtant toujours là heureusement, preuve que 1) Internet garde vraiment tout, 2) ça en fait des serveurs utilisés pour pas grand chose.

J’ai récemment compris que le moment où je suis devenu un vieux con de l’informatique équivaut dans mon exemple à celui où je ne me suis plus reconnu dans cet excès d’informations, dans ce besoin irréaliste de communiquer sur tout et de mettre absolument tout en relation et en réseau. Autant je suis fortement intéressé (rien que de par mon travail) par les innovations du web et y vois une façon de détruire certains carcans, autant je suis désolé que la façon dont on le traite et dont on le vend passe souvent par des choses d’une rare futilité. Je suis prêt à accompagner le web 2.0 et même le 3.0 tant que la coquille sera pleine et goûtue. Voilà !

Une introduction sans autre rapport avec Shadow of the Colossus que la nécessité de revenir vers des expériences profitables, originales et marquantes. Cette courte mais grisante épopée qu’on classera dans le genre action-aventure est sortie en 2005 sur Playstation 2. Cet article tâchera d’expliquer pourquoi, en dépit de ses nombreux défauts, ce jeu est un des plus grands jamais sortis.


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La première chose que je vais faire est de montrer, nom d’un os à moelle, ce qu’est le but du jeu. Non mais c’est vrai quoi. Vous avez déjà lu des articles sur SotC ??? Ils mettent des plombes à construire à l’aide de superlatifs les marches qui le rapprochent au rang d’œuvre d’aaaart, mais au bout de cinq minutes on ne sait toujours pas ce qu’il faut faire dans ce !$#@% de jeu. Ben moi je vais vous le dire. C’est mon style : je suis pur, je suis vrai, je suis né comme ça. Faites bien gaffe, vous allez être déçu : le but de SotC c’est de trouver des monstres géants et de leur péter la gueule. L’abonné à Télérama que vous ne manquerez pas d’être est déconfit. Pas de dimension supérieure et impénétrable dans le jeu vidéo ? Pas de système complexe ? De… de la violence ? Et oui, et c’est en quoi SotC est malin, il reste un jeu vidéo et pas un objet interactif non identifié, catégorie dans laquelle on range les réussites et surtout les canards boîteux, pompeux et prétentieux. SotC a ceci de magique qu’il apporte au jeu vidéo traditionnel des dimensions jusqu’alors peu explorées.

Le pitch se révèle rapidement très, très simple : un jeune cavalier du nom de Wander va de montagnes en vallons sur son destrier Agro. Celui-ci porte aussi un corps de jeune fille sans vie. Ils arrivent par un pont d’une hauteur vertigineuse dans une contrée isolée et abandonnée, où ils rencontrent un esprit capable de redonner vie à la jeune femme. Pour cela, Wander doit battre seize colosses et accepter toutes conditions…

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Une fois l’introduction finie, le joueur est livré à lui-même dans la dite-contrée host… et bien non en fait, pas du tout hostile. La quasi-totalité des jeux de ce type propose d’affronter d’innombrables ennemis de diverses forces puis d’enchaîner sur des « boss », adversaires plus difficiles. Dans SotC il n’y a que les boss. Autrement dit, vous pouvez explorer l’immensité du terrain de jeu sans absolument rien craindre et décider enfin d’aller vous frotter au colosse. Lâché dans la nature, vous vous imaginez engranger les mini-quêtes qui développeront votre héros afin qu’il devienne suffisamment fort, vous voyez déjà les personnages secondaires à qui parler, une intrigue folle, mais de tout cela vous n’aurez rien. Vous ne ferez que trois choses dans ce monde : vous promener et vous déplacer, trouver des insectes et des fruits pour améliorer votre santé ou votre endurance… et vous battre contre des colosses. La récolte de fruits et d’insectes est un à-côté qui permet de mieux s’en sortir. Une pure quête d’exploration, tout comme le dévoilage progressif de la carte et le déblocage des stèles de sauvegarde, missions plus que facultatives même pas récompensées, à l’ère des succès et autres trophées qui félicitent le joueur aussi bien pour des challenges ardus que pour des actions sans intérêt. Ah si, une fois fini le soft une première fois, on a accès à un mode « time attack », sans compter qu’on peut toujours se créer ses propres défis : speedruns, ne pas se faire toucher… Après avoir vu quelques vidéos, SotC n’est effectivement pas dénué de subtilités. Mais en dehors de tout cela, le jeu décide d’emblée de ne pas s’éparpiller et propose l’inverse des « multi-gameplays ». Une fois un colosse rencontré, inutile de le frapper jusqu’à ce que mort s’ensuive, ou plutôt si, une mort, la vôtre : à force d’ennui. Pour tuer ces monstres, il faudra trouver leur(s) point(s) faible(s) (luminescent(s) lorsqu’on s’en approche) et le(s) poignarder. Tiens je copyrighterai bien ce (s) moi... Se faufiler jusqu’au point faible demandera un peu de cerveau et, une fois qu’on a compris, de l’adresse. Wander dispose pour ceci de deux armes (une épée et un arc), son cheval (pas toujours disponible), des éléments du décor, des capacités saut, roulade, etc. et enfin de ses petits bras car généralement il finira par escalader la bête pour lui porter le coup fatal. Voilà, je crois bien que vous connaissez maintenant 100% du gameplay.


Si on était vulgaire, on rangerait directos SotC, comme dit en intro, dans la catégorie « Action-Aventure ». Et on ferait bien parce que c’est exactement ce qu’il est. De l’exploration, de la réflexion et de l’adresse. Au final, SotC fait peu de choses mais le fait bien. Les étapes de jeu y sont bien distinctes, jamais mélangées, mais se suivent de manière logique et bénéficient d’un soin tel, ou plutôt d’un feeling tel qu’on ne peut que les vivre différemment et ensuite les assembler pour former un tout. Avant de continuer, je profite d’une pause dans l’argumentaire pour pointer le principal défaut du jeu : la PlayStation 2 n’a pas les épaules assez larges pour un projet de cette envergure. Ralentissements, clipping, beauté de l’image (et encore…), enfin bref, tous les soucis techniques que d’autres critiqueront mieux que moi sont flagrants sur cette plate-forme. La technique n’empêchant nullement ici l’immersion, ces défauts n’en paraissent que plus mineurs, d’autant que certains effets de flou rendent l’atmosphère appréciable. Bien entendu, cela reste regrettable. Le jeu est aussi assez court… mais seulement selon certains standards. Il se veut déjà assez répétitif, ce n’est pas pour prolonger inutilement l’expérience. La durée de vie, à mon avis, est ici liée à l’histoire ; la rallonger n’aurait qu’affaibli le punch de la séquence de fin, et rendu l’évolution du personnage artificielle. Contrairement à un RPG, la quête de Wander n’est pas liée à un monde vaste, à des rencontres, à moult péripéties, à une progression de A à Z, du statut de débutant à celui de sauveur de l’humanité. Son histoire n’est qu’une histoire dans l’infinité des existences, une légende émouvante, comme un conte dans un livre qui avoisine d’autres contes. Les contes, dans leur majorité, mettent-ils plusieurs heures à être racontés ? C’est ainsi à cheval que Wander se lance à l’aventure…


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D’une voix lente et pesante, dans un dialecte inconnu (seuls les sous-titres sont dans la langue de votre pays), l’esprit finit de vous dicter vos devoirs. La salle aux seize statues, oubliée de tous, semble figée par le temps. Dehors le soleil trace son chemin vers l’ouverture et vous invite à le rejoindre. Sitôt dehors, pas de menu compliqué, vous tendez votre épée et le reflet du soleil vous indique la marche à suivre vers le premier colosse. Sans autres fioritures, le message est clair : vous avez rendez-vous avec votre destin. Vous avez tout votre temps mais votre destin est inéluctable… Car le monde dans lequel vous avez atterri a aussi tout son temps. La vie animale y joue sa partition depuis des millénaires, la flore paraît comme éternelle. Ne parlons même pas du sable, des falaises, des étangs… Dans un silence de mort, vous ne pouvez qu’avancer et admirer ces paysages magnifiques, contempler, réfléchir ou foncer tête baissée… sans danger, mais seul, terriblement seul, puisque ces terres désolées vous rappellent intelligemment à chaque instant que vous vous croyez certes le bienvenu, mais que vous ne ferez que l’indifférer tant que vous n’aurez pas rempli votre unique but ici-bas. Seul, pas tant que ça, votre fidèle compagnon est là. Auparavant, vous avez monté Agro. Monter d’une touche, avancer, reculer, gauche, droite, comme un pantin, Agro ne connaît pas. Vous venez de faire face au principal trait de génie du jeu, jeu qui est vivant. Agro n’est pas un con de cheval acheté mille pièces d’or à l’écurie, et qu’on peut tuer en contrepartie de dix points de morale en moins sur sa fiche de stats. Cet animal est lié corps et âme à Wander et a son intelligence propre, est vrai, palpable. SotC exècre les animations au hachoir de la plupart des jeux, son animation est fabuleuse, donne toute sa poésie à l’expérience. Pour monter Agro, vous devez le siffler, vous en approcher, vous mettre du bon côté, l’informer de votre destination et petit à petit… il se met en branle, par des secousses réalistes, il accélère peu à peu. Il freine peu à peu aussi sauf s’il se heurte à un obstacle, auquel cas il s’arrête violemment et hennit. Aussi bien Wander qu’Agro ne font des galipettes, des bonds surréalistes, des postures de foire qui rendent si bien dans des jeux plus festifs mais feraient tout simplement moches ici. Leur façon de se mouvoir ultra-réaliste renforce l’immersion à des degrés rarement atteints, et insuffle une dose d’humanité là où bon nombre de softs, au-delà de leur qualité, sont tristement mécaniques, tels des jouets insolemment trop conscients d’être de la haute-technologie et méprisant en cela toute tentative d’adoucir le ton.

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A l’approche de l’antre de la bête, la musique fait ses premiers pas, avec grâce. Le chemin peut être long jusqu’au colosse, pas instantané en tout cas, signe que le trophée se mérite. Une fois arrivé, l’ennemi est soit visible tout de suite, soit au loin, soit se cache, soit ne vous a pas encore remarqué, soit j’emploie trop de soit et l’Académie Française va pas être contente. Et le colosse apparaît. Mélange de chair, de poils et parfois de pierre et de végétaux, leurs yeux bestiaux vous épiant. Surprenantes bêtes, dont le visage ne semble pas si inamical, mais dont le but est bien de vous occire, dès le moment où vous avez violé leur territoire. De toutes formes, bipèdes, quadrupèdes, volants, aquatiques, souterrains. Avec armes ou non. Et si leur taille ne vous a pas déjà paru impressionnante (auquel cas il y a de fortes chances que vous mentez !), affrontez-les maintenant. La magie cruelle et fascinante de SotC opère une nouvelle fois. Contrairement à des jeux où le boss est lui aussi énorme, mais que vous pouvez battre avec des sorts et des armes d’une puissance qui le font passer pour un minable, le rapport de force se révèle d’emblée ici en votre complet désavantage. Vos atouts : vous êtes petit, rapide et vicieux. En dehors de cela, vous n’êtes qu’un insecte qui se fera balayer s’il reste exposé. Prenons un exemple : vous vous voyez ajuster la vue de votre Reflex pendant que le T-Rex de Jurassic Park vous fonce dessus ? Non ? Bon. Faites le mariole et votre cas sera vite réglé. Dans le pire des cas (une situation un peu trop inégale à mon avis et pas très fair-play de la part des développeurs, dommage), vous allez vous faire piétiner par une espèce de taureau jusqu’à ce que mort s’ensuive. L’animation réaliste est ce qui rend ces affrontements si palpitants. Wander est fragile, un coup peut le mettre au sol et se relever peut prendre du temps. La fatigue et la douleur lui font lentement lever ses bras avant de reprendre le chemin. L’impact d’un pas de colosse peut vous faire tomber ou vaciller ! Votre adversaire est par contre souvent lourd et peu agile, moments dont vous profiterez pour vous faufiler. Une fois agrippé, le colosse, « chatouillé », essaiera de vous faire tomber, et vous allez lutter. Votre survie ne tient qu’à un fil. Une fois touché, le géant hurlera de douleur, deviendra fou. Peut-être devrez-vous vous y reprendre plusieurs fois. Wander est certes plus résistant et plus fort qu’un humain normal, mais il est sensible à la gravité, à la physique, au vent, aux chutes, à la respiration sous l’eau, etc. Ajuster son arme avant de tirer ou frapper n'est pas automatique. Toutes ces choses mises bout à bout rendent la lutte bien plus épique qu’une multitude d’explosions en tout genre. Mieux, SotC est peut-être le meilleur exemple à ce jour de combat furieux et sans merci contre un de ces monstres des légendes, disproportionnés et magnifiques tels des dragons, cyclopes et autres cerbères ; un « simulateur » de David contre Goliath. Le sentiment de fragilité est merveilleusement rendu, votre persévérance et votre intelligence seront récompensées, et une fois le dernier coup porté, vous ressentirez, essoufflé, la satisfaction d‘avoir vaincu plus gros que vous-même. Beaucoup me répliqueront que d’autres jeux offrent ces sensations, et que SotC n’est pas très dur, mais c’est la façon de le retranscrire qui est unique. De même, vous n’aurez pas vaincu un robot ou une entité inanimée, mais un être à part entière dont vous ressentirez le dernier souffle.


Hélas, tout n’est pas si parfait, car une telle ambition n’est pas toujours soutenable sur tous les points de développement. En effet, cette volonté d’une animation humaine rend certaines approches difficiles, et lorsqu’on est habitué à l’instantanéité des commandes, la douche est froide. Il faut clairement se fondre dans le corps du héros pour éviter les écueils et réussir à grimper au sommet.  J’ai souvent pesté contre ses incapacités, mais un travail est à faire sur soi pour accepter les règles du combat telles qu’elles sont. Plus critiquable, les caméras. Elles sont bonnes et souvent bien choisies, cependant… je suis désolé d’être exigeant mais dans un tel jeu elles ne doivent pas être bonnes mais parfaites. Et surtout éviter de caler à une étape particulièrement stressante de la montée d’un géant. L’intensité de l’action, la place que prend le colosse à l’écran et la nécessité de s’orienter sur celui-ci oblige à une visibilité optimale, qui n’est pas toujours assurée.

Néanmoins, comment en vouloir à SotC ? Ses défauts sont grands, mais le fond est remarquable. Le concept génial. L’histoire grandiose, car oui, il y a aussi l’histoire, racontée avec trois fois rien, peu de scènes cinématiques mais à chaque fois essentielles (le superflu est jeté aux oubliettes), et une fin extraordinaire dont je ne dirai rien mais qui mêle habilement à son tour les codes du jeu et du narratif. Nous allons alors défendre ce jeu comme ce qui est soit une œuvre d’art, soit une œuvre qui peut relancer le débat sur les possibilités artistiques du jeu vidéo. On a beaucoup parlé de jeux vidéo « artistiques » car ils mêlent avec brio divers médias et diverses formes d’art (musique, cinéma) en leur sein. Je laisse de côté ce débat pour parler de SotC qui innove car même s’il fait lui aussi partie de cette liste de jeux, on peut se demander s’il n’y a pas de l’art dans l’action de jouer elle-même. La façon dont est construite l’épopée, dont le joueur se balade à cheval, toute cette attente avant le combat, la mise en scène du combat, bref toute cette alliance savante, cette fusion entre la narration et l’interactivité, peu de produits avant l’ont fait de manière aussi déterminée et aboutie. Sans les critiquer plus que cela, SotC se démarque des jeux à QTE ou autres softs où la narration et le gameplay sont bien distincts. Et si le mot « narration » vous chagrine, car le jeu n’est pas qu’une histoire, j’aurais aussi bien pu parler d’expérience, de ressenti, ou comment jouer vous fait petit à petit, sans artifices vulgaires, rentrer dans un monde où l’on retrouve les notions d’inconnu, de découverte de soi, de modestie, de perte d’un être cher, de vie, de mort, de spiritualité. En définitive, SotC est un grand jeu parce qu’il est à la fois un bon jeu, une œuvre qui, si elle n’est pas forcément d’art, est remplie de sens, et une expérience de jeu unique et novatrice.


Et comme le blog de Vinczc ne serait rien sans une chanson, une ritournelle ou une symphonie, terminons sur le véritable élément déclencheur de l’émotion dans Shadow of the Colossus. On en revient toujours à la musique, dont le rôle est prédominant dans la plupart de mes jeux de prédilection. C’est Kow Otani qui l’a faite. Elle est merveilleuse, inouïe, une des meilleures bandes-son de jeu des années 2000. Si vous ne jouez pas, au moins écoutez. Je ne la décrirai pas : si vous avez lu l’article, vous situerez aisément les thèmes et avec un peu de chance, ils vous donneront envie de jouer.

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