The Divine Comedy - Casanova (5/10)

Publié le par Vinczc

Casanova (1996) est un album important à plus d'un titre.

- Une fois n'est pas coutume, il y a une évolution musicale. Les ambiances de Liberation et de Promenade ne seront guère plus copiées ni servir de références. Casanova est un tremplin pour les deux albums suivants.
Grosse innovation : Neil n'est pas seul. Il a des potes musiciens, dont le nom parlera à n'importe quel fan de TDC (Joby Talbot, Ivor Talbot - aucun lien de parenté -, Stuart Bates, quelques années plus tard Rob Farrer...), et un orchestre. Depuis, TDC est un groupe qui enregistre et joue régulièrement en présence d'un ensemble orchestral classique d'au moins dix personnes si ce n'est plus. L'impact sur la musique va se sentir.

- Pas des moindres caractéristiques, c'est l'album du succès. Un animateur de radio s'entiche de "Something For The Week-End" et la pub et les autres médias font le reste. Neil connaît enfin la gloire qu'il mérite. Ses ventes explosent, il passe à la télé, à la radio, dans les magazines... Le temps de l'anonymat, ou choisissons un terme moins fort, de la confidentialité est très loin.

Par extension, Casanova n'est pas un album inconnu. Il ne compte pas moins de trois singles et autant de video clips.

Comme d'hab, la pochette donne un avant-goût : un Neil plus mûr, clope au bec, regard "serious", sur un bateau en plein Venise.
Le côté séducteur est flagrant, mais il serait maladroit d'avancer que Casanova est un bête album de don juan bellâtre. Il n'y a aucune guimauve dans les paroles, on sent plus des interprétations sur l'amour et le sexe plus ou moins réfléchies, amusées, au second degré, mais pas basiques. Neil Hannon joue avec son personnage, et livre ici un concept intéressant, assez complexe. D'ailleurs je vous rappelle qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre ce que je dis, déjà parce que c'est un blog et non une biographie ultra-documentée, ensuite car je ne suis pas la personne la mieux placée pour affirmer des évidences sur l'univers profond de l'oeuvre de TDC.

Moi je parle de mon avis, de la qualité supposée des disques. Vous pouvez trouver d'autres interprétations ailleurs. :) J'en profite pour vous conseiller de faire un tour sur l'excellentissime site http://ashortsite.free.fr/site/ où quelques albums sont expliqués en profondeur. Lisez-les en complément de ces chroniques, c'est que du bonus.

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Something For The Week-End est le titre qui a lancé la grande carrière de Neil. Et vous voulez savoir quoi ? C'est pas une merde, oh non. Something... est ma chanson préférée de The Divine Comedy. J'y peux rien, je l'ai écouté un jour, ma première écoute du groupe, j'ai flashé.
Qu'en dire ? C'est un morceau incroyablement dynamique (qui a un petit air de générique de série télé 60's-70's mais en plus classe), qu'on n'aurait pas retrouvé dans les précédents essais, rien que par son ambition, sa prétention même, cette légèreté déshabillée, cette façon de se mettre en avant.
Dès l'intro, on entend des mots parlés, amusants, ouvrant le bal à une symphonie de guitare, percussions, trompette et tutti quanti, sur une mélodie galopante, à moitié joyeuse. La structure est, mon dieu, parfaite. Le couplet, le refrain, la montée en puissance complètement démesurée au milieu, puis cette fin apocalyptique. Ce jour-là, Neil Hannon a frôlé de très près les anges de la pop symphonique.

On est prévenu, Casanova est différent. Becoming More Like Alfie (Alfie est un personnage fictif de cinéma, un séducteur multipliant les mensonges et les femmes) est sur la forme plus sobre, mais toujours dans la même perspective : créer des chansons plus directes qu'avant, mieux produites, plus emphatiques. Faisant plus penser à de la pop-rock classique, ce 2e single n'en est pas moins une flagrante réussite, subtile, habitée.

L'introduction de Middle-Class Heroes est révélatrice. Empruntant sa plus belle voix de crooner, Neil entame un speech de séduction cynique, cultivé, avant de partir dans un chant calme, mais puissamment chaud.
Bénéficiant de solos intelligents, d'un pont épique inattendu, voici un très bel exemple d'une pop des années 90, variée.

Semblant parfois un peu perdu au milieu de l'album, In & Out In Paris & London est, je me permets de l'affirmer, un morceau remarquable. Instaurant d'emblée cette ambiance  européenne, magique, incitant à la rêverie du voyage (c'est pour moi le titre qui va le mieux avec la pochette), c'est une piste courte mais truffée de passages sympas comme tout, de choeurs féminins, de variations de chant. Plus que jamais, Neil nous offre une musique peu cadrée, à laquelle il insuffle vie.

Tout aussi superbe est ce Charge, anticipant les grandes envolées lyriques de A Short Album... et Fin de Siècle.
Normalement, à ce stade, vous devriez avoir un aperçu à peu près fidèle de ce qu'est Casanova, une entrée en matière un peu abrupte dans un style peu sobre, misant sur des émotions et des expressions extravagantes. Casanova fait partie de ces détonateurs dans une discographie qui arrivent à fâcher certains habitués.
Charge part sur un rythme haché (un peu militaire, ou tango, ça dépend du point de vue...), et assure la continuité par un refrain gentiment fantaisiste. C'est sans compter qu'à partir du pont, tout se met à partir en vrille ; Neil joue de ses extrêmes aïgus avant de reprendre le refrain de diverses façons et de répéter jusqu'à plus de souffle le "BANG!" de la charge, dans une orgie de cordes. Ahaha, moi je trouve ça trop beau.

Ok, petite pause, avec le magnifique Songs Of Love, dévoilant des paroles raffinées, sur une ballade douce, simple sans être simpliste. On ne s'y trompe pas, Songs Of Love est quand on l'écoute, lui aussi, un morceau typiquement "Casanova".

Puis suit le 3e single, beau à chialer, The Frog Princess. Une chanson émouvante mais empreinte d'une fantaisie et d'un recul exemplaire sur les paroles, ce qui rend le style encore plus fascinant. La "frog princess" est une nouvelle conquête, française (d'où le début de Marseillaise en intro) qui ne voit en l'amour aucune issue. Quand j'y repense, ça m'a rendu assez triste sur le coup, surtout que la fin est déchirante à souhait.
Sinon, c'est un titre lyrique, de nature grandiose, qui a la chance d'avoir ce refrain formidable mélangeant des petites pauses en sifflant et une voix voluptueuse. Le caractère répétitif (le pont et la conclusion sont strictement pareils) n'aura à mon goût jamais raison de l'immensité du travail accompli sur la qualité des airs.

N'aura-t-on jamais la paix avec cette crooner attitude ? Non, pas avec A Woman Of The World en tout cas. C'est du cabaret, mais plus intimiste, plus moderne, où Neil chante tantôt de manière objective, tantôt ému, et où il laisse éclater sa voix. Classique ? Pas sûr, mais je ne m'avancerai pas, je vais juste dire que cette chanson est très très bien.

Parmi tous les morceaux faciles à chanter, fredonner de cet album, il fallait bien un autre plus compliqué. Je suppose qu'on peut alors introduire Through A Long and Sleepless Night. C'est marrant, si j'ai bien visité un ou deux forums, c'est une piste que les fans ont en haute estime. Comme quoi ce ne sont pas que les tubes qui se taillent la part du lion.
Rendons à César ce qui est à César, cette longue chanson est certes la moins accessible de toutes, mais quel brio. Une intro mystérieuse, furtive, installe sans à coups un couplet légèrement saccadé, laissant l'impression d'un chant torturé, haletant. Et lorsque vient le refrain, Neil se met à jouer dans les aïgus les plus imprévisibles ("Je peux mettre du parfum, aussi porter la robe de temps en temps, mais je serai toujours le marié, et non la mariée"). La seconde moitié du titre est un summum de "crescendo" émotif. Génial.

Neil, on le sait aujourd'hui, met dans certains de ses albums des instrumentaux, le plus souvent à l'avant-dernière place. C'est le cas de ce Theme From Casanova, très joli, et révélateur d'une certaine ambiance générale au sein de ce disque. Certes, ça ne vaut pas "Europe By Train" mais pardonnez-moi je fais une fixette sur ce dernier.^^

Ce qui est intéressant dans le dernier morceau, c'est que j'ai l'impression qu'il assure une très bonne transition de style entre Casanova et le prochain album, A Short Album About Love.
The Dogs & The Horses sonne comme une tentative (entièrement réussie) de morceau de fin épique, pour ne pas dire générique de fin, tellement ça me fait penser à une bande-son de film (j'ai même pensé à certains Disney...).
De plus, le morceau prend son temps, la longue fin anticipant un "The Certainty Of Chance".

Quoi de plus explicite que ce morceau pour illustrer le changement opéré par Casanova ?

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Car oui, Casanova est à mon avis une petite révolution de style, et TDC en sera marqué à jamais. Pour plusieurs années, Neil Hannon va travailler cette image de dandy et la musique qui va avec : extravertie, ultra-symphonique.
Cette orientation a mis les points sur les "i" ; ceux qui n'aiment pas The Divine Comedy sont assez souvent rebutés par ce style qu'ils qualifient de pompeux, prétentieux. D'un côté je ne leur donne pas entièrement tort, certains albums de TDC il faut se les farcir pour comprendre.

Seulement voilà, certains apprécient ce style et j'en fais partie.
Sans compter que Neil Hannon a énormément de talent, ce qui est un des points sur lesquels il est le moins souvent critiqué.
Mieux que ça, il a véritablement développé un genre, ce mélange de pop-rock 90's et d'orchestration classique, dont ses compositions sont d'innombrables variations.

Casanova, au-delà de son succès commercial, fait donc honneur aux précurseurs qui lui ont ouvert la route : il n'y a aucun mauvais morceau dedans, et j'ajouterais qu'il y en a beaucoup de sensationnels.

C'est enfin un album charnière dans la discographie du groupe. Même si statistiquement et au fil du temps il sera de moins en moins au milieu de la carrière de TDC, il est, je pense, vu comme un milieu, le disque de la maturité, celui qui fait référence, celui qu'on cite, celui qu'on voit en premier dans la discographie. L'impression est cependant atténuée par le temps et par le fait, rappelons-le, qu'il n'y a pas d'album qui écrase tous les autres.
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