The Divine Comedy - Fin De Siècle (+ A Secret History) (7/10)

Publié le par Vinczc

Nous sommes en 1998, Neil Hannon va sortir son troisième album en trois ans. C'est beaucoup même si le bonhomme est assez prolifique si on le compare à d'autres artistes pop-rock (ce qui n'est pas pour me déplaire évidemment).

Encore un titre français mais très emblématique : Fin de Siècle. C'est le titre parfait pour illustrer cet album, déjà car celui-ci est effectivement son dernier pour ce millénaire. Ensuite, parce que les thèmes abordés référent beaucoup à nos temps, à certaines inspiration modernes, nostalgiques, apocalyptiques... La palette est variée mais laisse entrevoir un discours riche sur une époque, sur des souvenirs, sur des tendances.

Fin de Siècle est enfin l'album qui clôt littéralement les années 90, et ce au niveau musical. Tout le style employé et développé par Neil Hannon, tous ces arrangements, ces préciosités, ces subtilités, ces cascades sonores, vont prendre fin. TDC va connaître dans ce nouveau millénaire un changement de style puis "revenir aux sources" non sans être marqué (à mon avis) par cette transition.

A l'oreille, c'est flagrant : Fin de Siècle est dans la lignée de Casanova et de A Short Album About Love.
Plus que ça, il les transcende ; et la rupture avec les morceaux du siècle à venir n'en est que plus violente. On peut, je crois, dire que nous avons affaire à l'album le plus grandiloquent du groupe. Le plus orchestré, peut-être le plus maniéré, sûrement le plus prétentieux.

Est-ce un mal ? Ma foi non. Beaucoup ont fui cet album comme la peste, effrayés ou dégoûtés par ce trop plein.

Je vais devoir parler d'un album que j'ai découvert bien après les autres. Tandis que toutes les chansons de TDC m'étaient familières, il me tardait de découvrir cette inconnue.
Influencé par une critique négative, je n'avais pas d'a priori négatif sur ces travaux, sur cette époque toute particulière, mais plutôt un regard distant. Ce genre de point de vue qui laisse une oeuvre à l'extérieur d'un album de famille.

C'est après avoir écouté et ré-écouté les dix pistes que la barrière est tombée. En toute honnêteté, je peux affirmer que Fin de Siècle est typiquement dans la même dimension que ses semblables.
Portrait d'un grand.

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Nous démarrons avec Generation Sex. J'aurais dit au début un ersatz de "Something For The Week-End", avec toujours ces voix parlées en introduction et une mise en jambe dynamique. Même format, mais plus proche de "In Pursuit Of Happiness", divisé en deux parties, une chantée et l'autre instrumentale. Toutefois, l'ensemble est beaucoup moins galopant. Les cuivres assurent le rythme, de façon un peu sixties. Je ne trouve pas ce morceau extraordinaire mais je reconnais sa qualité. C'est une chanson qui a de la personnalité, efficace et dans la lignée de cette période.

La suite est plus à mon goût ! Et Fin de Siècle commence à montrer son vrai visage. Le détonnant Thrillseeker divague dans une courte entrée à la flûte puis pose son rythme résolument rock. Sauf que la guitare lourde avoisine une tonalité classique évidente, avec piano et tout le toutim. Le chant est possédé, à l'image de son titre ("chercheur de frisson"). C'est un coup de poing, muni d'une orchestration très présente.
Car il faut le savoir : Fin de Siècle est l'album de tous les superlatifs. Un orchestre immense de plusieurs dizaines de personnes est intervenu dans son élaboration.

Vu que le disque n'est pas composé que d'assauts de cette ampleur, Commuter Love apparaît à point nommé pour introduire un nouveau souffle. Je suis fan de cette chanson. Il y a une osmose entre le propos et la musique remarquable. Le jeune homme observe une conquête qui semble inaccessible et qu'il n'ose pas aborder : le tempo est lent, descriptif. On s'aperçoit qu'il veut vraiment d'elle (augmentation de la tension) jusqu'à ce qu'il s'imagine dans un rêve - tel un fantasme de célibataire - où il vogue dans un bonheur ultime. Le pont est magnifique. La fin est volontaire, énergique, mais la jeune fille semble interdite à jamais et les dernières notes se perdent dans l'infini.

A peine remis de cette beauté, Sweden démarre en trombe. Dans une louange sur les Suédois assez décalée, Neil énumère des mélioratifs, des noms célèbres, et finit par un "Sweden !" tonitruant et surjoué très jouissif, mais sûrement déstabilisant pour le non-amateur de ce genre de fantaisie... surtout que le tout se finit dans une overdose de choeurs comme on n'en a jamais vu chez TDC ! Vous êtes prévenus, on aime (moi) ou on n'aime pas.

Fin de Siècle n'est jamais en manque de nouveautés. Eric The Gardener est un cas unique dans la discographie. Huit minutes basées sur les mêmes notes de piano. La dernière moitié, entièrement instrumentale, est accompagnée par des cordes qui volent de-ci de-là, sans chercher à se poser. On sent beaucoup l'influence du minimalisme dans cet essai ma foi très réussi.

Vous êtes déjà à la moitié de l'album. Hé oui ! Il n'y a que dix morceaux, ça fait court pour un disque de qualité, mais heureusement que la longueur suit.
C'est l'heure de voyager en car, avec l'excellentissime et très dansant National Express. Comme single, il existe en version réduite, mais ce serait un crime de ne pas profiter de la version originale, dont les quelques cinq minutes passent comme du petit lait.
Fleurant le music-hall dans son penchant le plus moderne, cette incitation au voyage/à prendre la route au ton parfois moqueur et ironique bénéficie d'un couplet aguicheur et d'un refrain exemplaire, très jazzy, faisant participer public et chanteur (d'où son grand succès en live). Sitôt la moitié passée, Neil conclut la chanson pour laisser place à un instrumental aussi long qu'il le souhaite émaillé de "National Express...!" sautillants.
Vous vous devez d'écouter et de vous laisser prendre au jeu pour vous rendre compte de la phénoménalité de "National Express" !!!

Très ressemblant à "Commuter Love", Life On Earth n'en est pas moins dôté de sa personnalité propre, moins théâtral, plus classique, mais tout aussi excellent. Une telle chanson se savoure, par petites gorgées aussi lentement que son tempo le dicte. Un pont légèrement féérique un peu à part du reste mais bienvenu, sépare les deux couplet+refrain. Comme d'hab la mélodie est exemplaire. C'est à ça qu'on reconnaît les grands songwriters, et "Life On Earth" se chantonne et se chante très bien.

Drôle de single que ce The Certainty Of Chance. Enfin, je dis "drôle" mais il est très simple, et c'est justement cette grande simplicité qui est drôle. La sensation lors de la première écoute que ce morceau n'a pas inventé l'eau chaude. Trois parties sur un rythme répétitif, exactement pareilles, sans un seul intermède. Sauf qu'au fur et à mesure, Neil et son orchestre montent d'un niveau ; jusqu'à ce déchaînement de cordes et de piano tout simplement épique.
Drôle donc, car parfait single, excellent morceau, sans non plus se démarquer par son originalité. Mais ne dit-on pas souvent que les musiques les plus simples ne sont pas forcément les plus faciles à inventer...
Et mine de rien, Neil finit cette apogée par une lecture très distinguée et enrichissante comme il sait si bien le faire.

Attention, piste radioactive. Héhé, le moins que l'on puisse dire est que si vous avez supporté jusqu'ici tous les arrangements et soubresauts de ce disque définitivement barré et peu sobre (c'est une image bien sûr, on ne parle pas du Odelay de Beck !), Here Comes The Flood est un ultime test. Quand vient l'inondation, c'est la panique, l'apocalypse, les délires un brin métaphysiques de Neil... D'où cette succession de lignes de choeurs suraigues, de passages à la limite du spoken words, et de frénétiques embardées de l'orchestre. Le tout est très écoutable je vous assure, mais la fin vaut son pesant de fin de monde, avec cette libération de tous les éléments cités plus hauts : choeurs, cordes, cuivres, bruitages électroniques. Si on écoute bien, le style est très rock, et ce n'est pas le seul de l'album à sonner comme ça.
A écouter bien fort pour le plaisir. Je précise que la chanson est très bonne, hein !

Voici, l'album s'achève. Les dernières notes se mettent en place. Un piano grave et répétitif se fait entendre. L'air est reconnaissable rien qu'à ça : c'est Sunrise. A l'instar de "Tonight We Fly", "Sunrise" est une chanson de fin de concert, très appréciée des fans. Longtemps, je n'ai jamais compris cet engouement. C'est certes une chouette piste mais rien à voir avec les morceaux-cultes du groupe. Peu à peu j'ai révisé mon jugement : ce n'est toujours pas une de mes préférées mais sa grande qualité saute moins aux oreilles, est moins directe. Avec le temps j'ai saisi sa grande puissance.
"Sunrise" c'est Neil qui déclame d'un trait son passé, sa naissance puis finit très rapidement son couplet. Il y a trois couplets et ils sont très rapides. Neil arrive à formuler une structure très solide en moins d'une minute trente - deux minutes. Et alors que le chanteur pousse une dernière note très aigue, mais symptomatique d'une suite, le piano revient de la même façon, et une nouvelle partie, moins noire, s'ouvre.
 En fait, en trois minutes, le but a été de présenter une vie, une question sur la vie, sur la mort, puis enfin de conclure en mentionnant le fameux soleil brillant, le "sunrise", dans une conclusion pleine de vie, pour ne pas dire optimiste.

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Ainsi se termine en beauté cette fin de siècle.

Neil a dit beaucoup de choses sur cet album. Comme d'habitude il traite de ses thèmes de prédilection (amour, société, mort etc.) mais parle aussi de lui, et tel un artiste, calcule cette marque dans son parcours par des récits sur ses impressions, sur sa vie.

Vous l'aurez compris, je mentionne que Fin De Siècle est un album fin, riche, en fait tout aussi riche que ses prédécesseurs, si ce n'est plus (l'auditeur et l'analyste jugeront).
Les effets de style ne manquent pas, et les nouveautés non plus. Dans ces années 90, aucun disque de The Divine Comedy n'aura été identique à un autre.

De plus, celui-ci est particulièrement épique, riche en exagérations, en accord, en arrangements. C'est un monument musical, qui a été salué comme tel.

Si vous n'êtes pas convaincu, mais êtes tenté par le style, rappelez-vous mon avis en vous disant qu'une fois de plus la qualité de composition de Neil Hannon a frappé. Cet opus regorge de superbes compos, et même de véritables perles.


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Si vous avez suivi le sommaire de cette série d'articles, vous noterez que le prochain article s'attaquera à la troisième période de la carrière de TDC, telle que je l'ai découpée. C'est-à-dire les années 2000.

J'en profite rapidement pour dire que Fin De Siècle n'est pas tout à fait la dernière production de Neil avant que celui-ci ne disparaisse des rayons de magasin pour y revenir tout neuf tout frais trois ans plus tard.

Le premier véritable best-of sort en 1999, symbole d'une carrière riche en tubes, et aussi symbole d'une époque très identifiée musicalement. Autant dire qu'il tombe à point nommé. A Secret History reprend les singles du groupe et ceux qui y ressemblent à défaut d'être sortis en tant que tels. C'est une très bonne introduction à l'univers de The Divine Comedy. Bien sûr, vous passerez à côté de tas de morceaux biens, et je dis ça pour vous obliger à écouter tous les albums.^^
Mais dans l'ensemble vous ne serez pas déçu.


En sus, vous trouverez quelques inédits que je vous présente sommairement, et qui présentent la particularité d'être totalement différents des morceaux de Fin de Siècle.
Too Young To Die est une balade assez classique, pas très orchestrée, mais efficace, avec une belle montée en flèche. On est plus proche de la pop telle qu'elle est souvent connue.
Cette dernère remarque vaut tout autant pour Gin Soaked Boy, qui n'aurait eu sa place sur aucun des précédents albums (hé ! c'est aussi le mérite des inédits et des faces-b, on trouve des chouettes trucs un peu différents). L'occasion d'entendre Neil dans un autre registre plus proche de ses contemporains.
Enfin, petite gourmandise avec I've Been To A Marvellous Party, sympathique OVNI, dispensable pour certains, avec un Neil faisant son intéressant/pitre sur fond de soirée chic (c'est ironique bien sûr), dans un parler très littéraire, récité avant de sombrer, euh... plonger si vous préfèrez, dans une atmosphère techno(ïde), pour enfin finir dans une ambiance complètement dance. Oui oui, me demandez pas, faut écouter si ça vous intéresse. :)

Bref, ce sont des "extras" qui font patienter en attendant 2001 !

J'espère que mes articles ne sont pas trop chiants à lire, j'essaye de ne pas trop remplir mais c'est dur. Je réfléchis pas mal à comment rendre mes articles intéressants et je suis persuadé que ceux sur The Divine Comedy sont de loin les plus acrobatiques.
N'hésitez pas à me laisser vos avis svp !
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L
Super article!Fin de Siècle est l'un de mes préférés avec promenade, c'est véritablement une pure merveille.Entre nous je préfère largement Neil quand il s'éclate et se lâche, quitte à en faire trop.Je ne déteste pas ses petits essai gentilment pop, mais cela n'a pas la trempe de Fin de Siècle qui est absolument magistral!Pour Sweden, je m'interroge sur l'influence de la musique suedoise moderne, et du metal en particulier dont certains groupes utilisent des choeurs de ce genre.Je pense particulièrement à un groupe comme Therion, qui à la fin des années 90 et notamment dans les années 97 - 98 a eu un grand succès avec l'album Vovin. Hélas, je n'ai pas le souvenir d'avoir lu ça dans les interview de Neil à l'époque...
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V
Réflexion..... J'avoue que je ne me suis pas posé la question sur la musique suédoise, et surtout je ne sais pas du tout si Neil est amateur de Metal. Quant à l'influence de Therion, je dois avouer que c'est une piste pour le moins originale !J'avoue que moi aussi j'adore quand Neil se lâche ! Je peux généraliser à beaucoup d'autres groupes, j'aime beaucoup les excès dans la musique.Et bien sûr, je te remercie mille fois pour ton commentaire !
M
Merci pour toutes ses (bonnes) impressions. <br /> Oui Fin de siècle, c'est l'album le plus osé et le plus abouti de TDC. En effet le plus prétentieux aussi mais magnifique. 8 ans déjà et je ne m'en lasse pas au contraire, plus je l'écoute plus je trouve que c'est un des meilleurs albums qui soit.<br /> Grandiloquent, en effet. Surtout Sweden. Un morceau qu'il fallait osé! Neil l'a fait, orchestre, choeur, basses...Extrème, intense et jouissif. A en tirer les larmes tant la musique, le chant et le style sont grandioses. On est pas loin de l'extase!<br /> Neil n'a pas encore réussi à dépasser encore Fin de siècle, dans la lignée de Casanova et ASAAL, mais est-ce vraiment possible? je ne crois pas qu'on puisse aller encore plus loin dans la grandiloquence. Regeneration marquera alors par la suite une (surprenante et formidable) transition qui ne pouvait etre qu'inevitable.<br />  <br /> Entièrement d'accord sur tout ton commentaire, Fin de siècle l'album de tous les superlatifs. Et c'est parfait comme ca!
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V
Merci de tes impressions !